1922-2022: le leg centenaire de Seydi Hadji Malick Sy

 

Il y a 100 ans, s’éteignait le fondateur de la Tidianiya, El Hadji Maodo Malick Sy. C’était le 27 juin 1922 à Tivaouane. D'après Le Quotidien, l’œuvre de Maodo est une source intarissable et inépuisable, qui a consacré toute sa vie au service exclusif d’Allah et de son Prophète Mouhamed (Psl). Parcours d’un homme qui continue à guider des millions de personnes.

L’étude de la stratégie adoptée par Seydi El Hadji Malick Sy face à la politique culturelle d’assimilation inaugurée par l’Administration coloniale, a suscité une certaine réflexion de la part de Pr Bakary Ibn Cheikh Sambe.

Le chercheur à la Maison de l’Orient méditerranéen pense qu’il est «bon de rappeler souvent les points marquants de la vie de nos vénérés guides, souvent occultés par les innombrables éloges qu’on leur adresse et qu’ils méritent à plus d’un titre».

Faisant l’économie des éléments biographiques largement développés par d’autres études pour se pencher, avec une approche sociologique, sur un aspect rarement pris en compte par bien de spécialistes, le professeur à l’Institut d’études politiques de Lyon a voulu ainsi s’intéresser à la manière dont Seydi El Hadji Malick Sy a su déjouer le «plan d’assimilation culturelle mis sur pied par la colonisation française, tout en préservant la paix sociale, le dynamisme propre à l’esprit de l’islam, ainsi que les enseignements fondamentaux de la Tidianiya».

Le chercheur à la Maison de l’Orient méditerranéen se rappelle que «la colonisation a eu d’énormes conséquences sur les plans social et politique. De la traite négrière à la conquête coloniale, on ne peut douter des bouleversements qui ont secoué la société sénégalaise et de leurs incidences sur son système de valeurs.

D’autres parlent sans nuances des conséquences nuisibles qu’a produites la rencontre entre des sociétés anticapitalistes avec l’expression la plus brute d’une mentalité de profit : le colonialisme. Le tissu social aura du mal à se remettre de la déstructuration brutale de la société et de ses modes d’organisation. L’ordre colonial qui, pour l’indigène, n’était que synonyme d’exploitation, de travail forcé, ne permettait plus à la société dominée de suivre une évolution tenant compte de ses spécificités».

L’Administration française, bien que continuant son œuvre de pacification de l’intérieur du pays, s’attachait plus aux villes : centres économiques et culturels vitaux. Les centres urbains demeuraient un véritable enjeu pour l’empire colonial.

Dans le cadre de sa résistance «passive», indique Pr Sambe, «El Hadj Malick Sy aura d’ailleurs compris cette stratégie et s’intéressera aux villes où le Tidianisme compte la majorité de ses disciples».

Pr Iba Der Thiam soutenant que «la colonisation est à la fois une entreprise d’occupation territoriale, de domination politique et d’aliénation culturelle», M. Sambe de confier que «c’est cette dernière forme qui focalisera l’attention des marabouts soufis tels que El Hadj Malick Sy.

Le cheikh n’aura pas la tâche facile car la société urbaine à laquelle il s’adressa était depuis plusieurs décennies traversée par de très profondes crises».

El Hadj Rawane Mbaye la décrivait comme une «société éclatée, désarticulée, rongée qu’elle était par le virus de la méfiance et parce que la solidarité du groupe avait peu à peu volé en éclats, l’individualisme y faisait une apparition de plus en plus marquée».

Et de poursuivre en attribuant cet état de crise à tous ces maux qu’il énumère :

«Avec le travail forcé, l’indigénat et son régime de sanctions disciplinaires, les chefs de cantons et les commandants de cercles vivant d’abus du pouvoir et d’autoritarisme gratuit, avec l’impôt et la circonscription militaire et l’introduction de valeurs, de normes de vie, de règles de droit et d’une langue étrangère, les populations violentées, terrorisées, insécurisées, avaient fini par perdre tout sens de l’initiative, toute volonté de concevoir des structures, tout envie d’imaginer des projets d’avenir.»

Ce tableau sombre, dressé par l’un des plus grands islamologues sénégalais, permet de se rendre suffisamment compte du degré qu’avait atteint le malaise social. Et il estime qu’à «chaque fois qu’une société arrive à bout de patience, dépassée face à une situation donnée, elle cherche soit à combattre le mal, soit à recevoir un palliatif en s’identifiant à une doctrine, une religion, un saint homme, d’où l’idée wébérienne de domination charismatique considérée comme transitoire et passagère».

Dans ce contexte, la vertu héroïque et la valeur exemplaire du guide, le marabout, ne redonnent-elles pas de l’espoir pour créer une autre dynamique ? A ce propos, Rawane Mbaye dit :

«À tous les naufragés de ce monde en mutation d’identité où l’arbitraire régnait en maître absolu, la religion apparut comme le seul espoir de salut.»

Ainsi s’est confondue, avec la religion musulmane, l’identité collective du groupe persécuté. Dans ce contexte sénégalais, Pr Sambe souligne que «cette identité trouvera en la Tidianiya un cadre d’expression plus que propice». Ces structures multiformes qui s’adaptent à plusieurs situations sont considérées, dans une belle métaphore, par le marabout Cheikh Ahmed Tidiane Sy Maktoum, comme «les clubs mystiques où se forment continuellement les athlètes de la religion».

Cheikh El Hadj Malick Sy s’est servi de la Tidianiya dont il était la principale figure sénégalaise, pour remplir cette fonction.

Il a fait de la pratique de l’islam et de la vie confrérique la base de sa résistance «passive», visant à redynamiser cette société à laquelle plusieurs décennies de colonisation avaient, comme le dit Césaire, «savamment inculqué la peur, le complexe d’infériorité et l’agenouillement».

La notion de résistance passive ou par la religion a certes de quoi surprendre en Occident, mais Seydi El Hadj Malick Sy a réussi sa mission en inscrivant la pratique religieuse dans une perspective sociale et socialisante. Autrement dit, il a su développer une conception positive de la religion au sens où l’entend Auguste Comte.

Comme tout «Prophète», explique Pr Bakary Ibn Cheikh Sambe, «Maodo s’attaque aux maux de la société, qui ont pour noms souffrance et injustice», auxquels il opposera son message de paix et d’amour. Il instaurera, dans le cadre de sa confrérie, un autre ordre fondé sur les «valeurs de Justice, d’égalité, de protection des faibles, des veuves, des étrangers, des orphelins, du respect du bien et de la propriété de chacun».

Pour ce faire, El Hadji Malick Sy vulgarisera l’enseignement islamique dans de nombreux «foyers ardents» accueillant des disciples de toutes les régions du pays. Et de poursuivre :

 «L’originalité de ce Soufi fut son refus de s’attirer des disciples en accomplissant des miracles. La tradition orale lui attribue cette phrase : «Il n’y a rien de plus laid pour un homme de Dieu que de se transformer en thaumaturge pour convaincre et séduire.».»

Le cheikh s’installa à Tivaouane qui devient alors, à l’instar de Pire Gourèye au siècle précédent, un rayonnant centre de la culture islamique. La stratégie de El Hadj Malick Sy consista à enseigner d’abord la science des pratiques islamiques aux talibés, avant de s’attaquer à la mystique, phase supérieure, à condition que le disciple maîtrise les notions de base.

Dans cette école, le cheikh formait ses disciples qui allaient devenir les grands «Mukhadam» (Grands érudits) de la tarikha. Le contrôle strict qu’exerçait l’Administration sur les structures religieuses aura certainement obligé le marabout à adopter un système de décentralisation.

Selon Pr Bakary Sambe, «au lieu d’agrandir son école, cette université populaire dont parlait Paul Marty, ce qui pouvait lui attirer des ennuis de la part des autorités coloniales, El Hadj Malick a préféré renvoyer, dans leurs régions d’origine, ses anciens disciples. Ces derniers étaient suffisamment versés en matière religieuse et pouvaient, par les vertus de la tarikha qu’ils incarnaient, représenter chez eux le Cheikh et la Tidianiya et en prolonger l’action».

La revue égyptienne Al-Azhar, dans une présentation de El Hadj Malick Sy et de son œuvre, soutient que «grâce à lui, l’islam a connu son épanouissement dans ce pays, le Sénégal, en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya» et, poursuit la revue, «il a aussi formé de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays, telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité».

Le cheikh, comme pour contrecarrer la politique d’assimilation menée par les colons, chargera ainsi à des «Mukhadam» de représenter la tarikha partout où il l’estimait nécessaire. Ainsi, il envoya Serigne Alioune Diop Maïmouna à Gaya, Serigne Birahim Diop à Saint-Louis, l’un des fleurons de la colonisation française en Afrique occidentale. El Hadj Abdou Kane sera détaché à Kaolack, en plein centre du bassin arachidier sénégalais.

Réalisant que ses déplacements dans l’Aof pourraient éveiller la suspicion du Gouvernement général, El Hadj Malick préféra envoyer, après leur formation, ses disciples dans plusieurs pays de la sous-région : El Hadj Amadou Bouya le représentera en Côte d’Ivoire, El Hadj Madior Diongue au Congo, Serigne Ndary Mbaye au Gabon, El Hadj Babacar Dieng en Centrafrique et El Hadj Abdou Ndiaye à Bamako.

Selon le défunt Khalife général des Tidianes, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, «Maodo avait envoyé tous ses ténors de la Tidianiya en leur demandant d’aller faire un sacrifice en continuant son œuvre d’éducation spirituelle». El Hadji Malick aura réussi dans sa «mission» en donnant beaucoup d’importance à ce côté spirituel, mystique, qui aurait facilité l’acceptation de l’islam dans cette région d’Afrique.

La religion, telle qu’il l’a enseignée, n’est pas extérieure à la vie sociale, mieux, elle la «contrôle» et se manifeste en même temps dans tous ses secteurs tels que le travail et les relations humaines. C’est pourquoi, indique Pr Bakary Sambe, «il serait difficile, voire impossible, d’analyser le rapport au religieux de ces sociétés à partir de schémas spécifiquement occidentaux».

Mouhamed Arkoun voit dans cette harmonie, le succès de l’islam partout où il s’est implanté. Il soutient à ce sujet :

«La croissance des sociétés musulmanes durant les siècles d’épanouissement de la civilisation musulmane, et l’on peut dire que cette croissance a été harmonieuse dans la mesure où l’intervention du message religieux, le noyau métaphysique, a été telle que la croissance économique n’a jamais pris le dessus, comme cela aura lieu dans la période moderne de l'occident. Elle a toujours été contrôlée par une pensée que l’on peut qualifier de religieuse dans la mesure où la pensée théologique, en particulier, a été constamment très forte et très présente dans la société au point d’assurer une sorte de contrôle de toutes les activités de l’existence socio-historique.»

Selon M. Sambe, c’est ce même facteur qui a facilité le travail de Cheikh El Hadji Malick Sy lorsqu’il a utilisé la religion musulmane et sa dimension spirituelle pour contrecarrer un des piliers de la politique coloniale française, «l’assimilation de l’indigène».

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